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"Quand la matière chante" by Roger Boulet,
Colour and Dimension - the recent paintings of Graham Peacock catalog, 1991 (FRENCH)
Quand la matière chante ...
1.
Si l'oeuvre de Graham Peacock peut paraître surprenante (et même choquante) à premier abord, on doit la situer comme une espèce d'aboutissement de l'expressionisme abstrait. Pourtant, il ne s'agit plus dune répétition de formules apprises depuis longtemps à partir de Jackson Pollock, de Hans Hofmann, ou à partir des subtilités d'un Jules Olitski, du lyrisme de Morris Louis par exemple, ou encore moms des oeuvres fort disciplinées de Kenneth Noland. Il s'agit bien dune nouvelle peinture qui semble faire assaut à tous les principes de bon goût des générations précédentes, sans toutefois abandonner certains principes de base, soit l'intégrité de la surface de fonds et la primauté de la matière picturale. Il s'agit bien d'une surface (plus ou moms) plane où l'on retrouve un jeu de formes et de couleurs dans un certain ordre assemblées. L'espace rectangulaire d'un tableau à base de châssis de toile a disparue, ainsi que l'encadrement. La surface picturale même est très accidentée et le chromatisme du tableau est poussé à l'extrême.
2.
On ne saurait deviner facilement le procédé par lequel le créateur aboutit au résultat donné. Le procédé est pourtant bien simple.
Le peintre commence par étaler des mètres de toile détendue et sans couche d'apprêt au dessus de plusieurs châssis profonds qui reposent sur le sol. Le créateur prépare ensuite diverses couleurs d'acrylique liquide en grande quantité. Certaines couleurs sont versées au dessus des toiles et forment une espèce d'étang qui pent contenir facilement de 50 à 100 litres de différentes couleurs sélectionnées. Par évaporation, la matière acrylique se solidifie et sèche lentement, formant d'abord une pélicule recouvrant le liquide colorant pour former enfin une croûte lisse et épaisse. Le créateur surveille le résultat et peut intervenir dans la composition qui s'ébauche en ajoutant d'autres couleurs, en remuant ce qui est encore liquide, en formant des plis ou des rides ou en ajoutant quelque autre matériel, tel des morceaux de toiles jadis rejetées, des matières plastiques ou acryliques, etc. Le résultat du procédé est une topographie de matière plastique qui s'est ainsi formée.
Quand tout est solide et qu'il n'y a qu'une toile recouverte d'une écorce de matière, peut-être lisse, peut-être plissée, ridée, la toile quitte son châssis et le peintre la cramponne au mur. Un deuxième procédé de réalisation commence ainsi, et la composition est le résultat d'une sélection de formes par découpage. Le collage supplémentaire d'autre matériel est encore possible. Les formes peuvent être rehaussées par derrière au moyen d'un rembourrage de matière spongieuse. Le tout est enfin fixé sur un châssis fabriqué sur mesure au moyen de plusieurs épaisseurs de contreplaqué.
Par ce procédé, les tableaux de Peacock évoquent les topographies en formation, comme si les eaux du déluge se retiraient, comme un reflux, exposant un fond d'océan ou une terre nouvelle qui conserve le souvenir et les marques du processus formateur.
3.
Au delà de la matière, la couleur chante à pleine gorge, et c'est là l'essentiel de l'oeuvre de Peacock: la couleur nous séduit par son chant, sa mélodie, ses harmonies surprenantes et inédites, ainsi que par sa pureté, sa franchise et son enthousiasme à tout cassé. Autant dire que la matière se transforme, se spiritualise (comme en toute bonne peinture d'ailleurs!) et nous rend plus sensible à la pureté et à la franchise de ces émotions toutes picturales qui s'éloignent du primitif tout en rappelant l'exubérance du souffle primordial qui semble avoir façonné ces oeuvres. Les tableaux ont bien enregistré leur genèse toute particulière.
Roger H. Boulet
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